Forces invisibles et zones de perturbation
par Marianne Derrien, 2017

« Chasseur » de formes, Nils Guadagnin transforme la matière et cherche, à travers des phénomènes physiques ou atmosphériques, à lui redonner une intensité spatiale et une autonomie formelle. En tant que sculpteur, ses œuvres témoignent d’une aptitude expérimentale et d’une attention spécifique aux modes de production. À partir d’expériences quotidiennes, il capture et détourne des objets afin d’en extraire un élément pour le pérenniser et créer un trouble dans le réel. Voir l’espace est bien ce qui se trame dans ses œuvres, chacune d’entre elles entrant en interaction avec les spécificités du lieu qui l’accueille. Pour que certaines de ces formes continuent d’exister en dehors de leur condition artistique, Nils Guadagnin lance un défi aux lois de l’attraction. La pesanteur, le poids et la suspension président à cette exploration physiologique de l’espace : faire léviter des pierres, figer des sacs plastiques, reliques du quotidien, et sculpter le vide. Aux aspects paranormaux, ses œuvres interrogent les modes de présentation de la sculpture avec Levitation structure (2009), cube blanc en métal gravitant avec des câbles et systèmes électriques et Hanging Stone (2014). Puisque la lévitation permet à un objet de rester en suspension au-dessus du sol sous l’effet d’une force, elle renverse nos sens et bouscule nos repères visuels.

Pour sculpter cet invisible, Nils Guadagnin doit considérer les champs de forces en les interprétant et en les explorant. Si les troubles de la perception s’instaurent par magnétisme et par déséquilibre, il déjoue les contraintes physiques grâce à un geste sculptural simple, aérien et pragmatique, quasi-miraculeux et irrationnel. Naviguant entre un art minimal très référencé et un monde d’objets, ses œuvres contemplatives sont un condensé surprenant de poésie et d’immatérialité. Après des études aux Beaux art de Tours et deux années en Écosse au sein du Master of Fine Art de la Glasgow School of Art, Nils Guadagnin consolide ce contexte de travail en épurant et en effaçant les mécanismes pour fusionner sensation et phénomène. Du détournement d’objets à une métaphysique en devenir, le paradoxe entre l’oeuvre et sa mise en place est interrogé et affirmé avec Inversion (2013), sculpture-lumière qui porte et supporte son contraire, c’est à dire son ombre. La lumière comme l’air a besoin d’un autre support pour se matérialiser. Les surfaces sont constamment sous tension afin de produire leur propre autonomie. Avec la série de dessins Fade to grey, poussières de graphite sur calque, Nils Guadagnin précise son intérêt pour les phénomènes de tornades. Émeute naturelle, ente destruction et catastrophe, la tornade, tourbillon de vents extrêmement violents prenant naissance à la base d’un nuage d’orage, est un moment cinétique par excellence.

Éloge de la vitesse et de la rotation, cette manifestation météorologique est un phénomène sculptural à grande échelle, agissant sur la matière environnante, qui génère des formes et des volumes faits d’air et de poussière. Désormais, Nils Guadagnin cherche à documenter la matérialisation et l’évolution de ces formes dans l’espace. Sa vidéo Dust Riot (2015) et son installation Cyclone Fence (2015) libèrent une énergie, une onde de choc entre ciel et terre. Défier les tornades lui permet d’envisager le furtif et l’évanescent avec la dématérialisation de l’objet ou la mémoire physique du vide. Avec ces failles mises en valeur, Nils Guadagnin continue à explorer des formes et des contre-formes dans une série de tableaux en métal. Tant métaphysiques qu’alchimiques, les tableaux sans peinture Sunset mirrors (2015) sont issus de ces perturbations diverses du matériau avec une décomposition de la lumière sur la surface. Tout n’est que matière pour sortir de la représentation et rester dans l’expérience. Du titane au miroir, il décline les étapes de transformations de la sculpture et efface l’objet en l’électrisant pour faire apparaître des formes aux couleurs irisées. Au sein de cette relation ambiguë entre l’objet, le tableau et l’image, le processus prédomine pour se matérialiser dans le motif. Du solennel de l’art minimal à la dangerosité physique des phénomènes atmosphériques, les œuvres de Nils Guadagnin questionnent tant la présence spectrale des objets, qu’elles proposent un soulèvement de la matière.

Invisible forces and disruption zones
by Marianne Derrien, 2017

« Chaser » of shapes, Nils Guadagnin transforms the matter and tries, through physical or atmospherical phenomena, to give back to it a spatial intensity and a formal autonomy. As a sculptor, his works demonstrate an experimental ability and a specific attention for the methods of production. Starting from daily experiences, he captures and diverts objects in order to extract elements from them which will be perpetuated to create a disturbance in the reality. Seeing the space is the central point of his works, each of them interacting with the specificity of the venue where it takes place. In order to keep these shapes existing beyond their artistic condition, Nils Guadagnin challenges the laws of attraction. Gravity, weight and suspension lead this physiological exploration of space : putting stones in levitation, freezing plastic bags, everyday life relic, and sculpting the void. With paranormal aspects, his works interrogate the ways of presentation of sculpture with Levitation structure (2009), white cube of metal gravitating with electric cables and systems and Hanging stone (2014). Since the levitation allows an object to stay in suspension above the floor under the effect of a force, it turns our senses upside down and disturbs our visual landmarks.

To sculpt this invisibility, Nils Guadagnin must consider the force fields by interpreting and exploring them. If the perception troubles appear through magnetism and imbalance, he escapes the physical constraints through a simple sculptural gesture, aerial and pragmatic, almost miraculous and irrational. Navigating between a highly referenced minimal art and a world of objects, his contemplative works are a surprising concentrate of poetry and immateriality. After studies in the École des Beaux de Tours in France and two years in Scotland in the Master of Fine Art of the Glasgow School of Art, Nils Guadagnin consolidates this context of work by refining and erasing the mechanisms to merge sensation and phenomenon. From diversion of objects to metaphysics in progress, the paradox between the work and its implementation is interrogated and asserted with Inversion (2013), sculpture of light which carries and supports its opposite, in other words its shadow. The light like the air need an other support to materialize. The surfaces are constantly under tension in order to produce their own autonomy. With the series of drawings Fade to grey, dust of graphite on tracing paper, Nils Guadagnin specifies its interest for the phenomena of tornadoes. Natural riot, between destruction and disaster, the tornado, extremely violent whirlwind taking its birth at the base of a storm cloud, is a kinetic moment in itself.

Eulogy of speed and rotation, this meteorological event is a large scale sculptural phenomenon, acting on the matter, which generates shapes and volumes made of air and dust. From now on, Nils Guadagnin seeks to document the materialization and evolution of these shapes in the space. His video Dust riot (2015) and his installation Cyclone Fence (2015) release an energy, a shock wave between sky and earth. Defying tornadoes allows him to consider the furtive and the evanescent with the dematerialization of the object or the physical memory of void. With these flaws revealed, Nils Guadagnin continues to explore some shapes and counter-shapes in a series of metal paintings. As metaphysical as alchemical, the paintings without painting Sunset mirrors (2015) result from these various disruptions of material with a decomposition of the light on the surface. Everything is only matter to exit from the representation and stay in the experience. From raw titanium to mirror, he goes through the various states of transformation of sculpture and erases the object by electrifying it to reveal shapes with iridescent colors. Within this ambiguous relation between object, painting and image, the process prevails to materialize itself in the work. From the solemn aspect of minimal art to the physical dangerousness of atmospherical phenomena, the works of Nils Guadagnin question the spectral presence of objects, as much as they propose a rising of the matter.